Livraison de missiles Scalp à l’Ukraine : un changement de stratégie de la France ?
Le président Emmanuel Macron a annoncé mardi la livraison à l'Ukraine de missiles à longue portée Scalp, capables de frapper l’armée russe à longue distance. Une demande formulée de longue date par Kiev mais qui se heurtait à la crainte des Occidentaux de voir le conflit prendre une autre ampleur. Pourquoi ce revirement ?
Publié le :
L’annonce a fait du bruit. À son arrivée au sommet de l’Otan, à Vilnius, le président Emmanuel Macron a annoncé, mardi 11 juillet, la livraison à l'Ukraine de missiles à longue portée dits Scalp. "Un geste fort", juge Guillaume Lasconjarias, professeur à Paris-Sorbonne, historien militaire et ancien chercheur à l’Otan, interrogé sur France 24. "La France donne à l’aviation ukrainienne une capacité de s’aligner et d’accompagner la contre-offensive un peu plus en profondeur".
Ce missile de croisière lancé depuis un avion de chasse a été développé conjointement par la France et le Royaume-Uni, qui fournit depuis mai à l’Ukraine sa propre version du Scalp, le Storm Shadow. Avec une portée supérieure à 250 kilomètres, il permet à Kiev d’atteindre des zones de l’est du pays contrôlées par les Russes. Une source militaire française a assuré à l'AFP que les Scalp étaient déjà sur le terrain.
Du risque politique à l’atout furtif
Jusqu’à présent, les pays membres de l’Otan, dont la France, ont considéré que les armes à longue portée pouvaient représenter un "risque politique", selon l’expert militaire suisse Alexandre Vautravers. "Ce type d’armement posait question dans la mesure où les Ukrainiens auraient pu l’utiliser pour bombarder des infrastructures critiques situées en territoire russe", expose-t-il. "Les Occidentaux se disaient que si les Ukrainiens réussissent à cibler une base aérienne, alors ils peuvent cibler un barrage hydroélectrique, une centrale nucléaire, voire la place Rouge."
Mais aujourd’hui, la longue portée est envisagée de manière différente. Le missile Scalp étant doté de capacités "standoff" – c’est-à-dire de tirs effectués à distance de sécurité –, il ne pourra donc pas être largué depuis la ligne de front. "Il ne faut pas s’imaginer que ces armes vont frapper une infrastructure civile à 250 kilomètres à l’intérieur du territoire russe", explique l’expert. "De plus, le système de défense antiaérienne russe est tellement performant que les avions ukrainiens sont obligés de larguer leurs armes à 100 kilomètres derrière le front."
De quoi permettre aux Ukrainiens de poursuivre leur contre-offensive. "C'est essentiel aux forces ukrainiennes pour perturber la logistique ainsi que le commandement et le contrôle russes", explique à l'AFP Ivan Klyszcz, chercheur au Centre international pour la défense et la sécurité (ICDS), en Estonie. Cette capacité nourrira "l'approche actuelle" des forces ukrainiennes, qui tentent "d'avancer lentement pour protéger leurs forces et réduire leurs pertes autant que possible".
À lire aussiContre-offensive ukrainienne : Kiev peut-elle laisser du temps au temps ?
Le Scalp étant furtif et extrêmement précis, il permet de cibler des bunkers ou des infrastructures derrière la ligne russe. Il est aussi difficilement détectable – la probabilité que le missile touche sa cible est très élevée.
Concernant ces missiles, l'Ukraine a apporté des "garanties d'utilisation à l'intérieur de ses frontières internationalement reconnues", selon Paris. À droite et à l’extrême droite de l’échiquier politique en France, ces garanties ont été néanmoins jugées insuffisantes.
Amener la Russie à la table des négociations
Longtemps critiqué pour avoir maintenu de bonnes relations avec Vladimir Poutine dans l'espoir d'une issue rapide au conflit, Emmanuel Macron a opéré un changement stratégique notable depuis fin 2022. Les marques de soutien du président français à Kiev n’ont cessé de s’accentuer. Pour Alexandre Vautravers, "il n’y a donc aucune surprise dans l’annonce d’Emmanuel Macron."
La livraison de ces missiles n’est pas non plus une première. Les Britanniques fournissent déjà à l’Ukraine leur Storm Shadow, et les Russes ont d’ores et déjà annoncé en avoir capturé un sans le détruire. Cette technologie est désormais entre les mains des ingénieurs russes qui aspirent à le copier. Pour l’expert militaire, il s’agit avant tout d’un effet d’annonce. "La France est sous pression, comme beaucoup d’autres pays. Elle est dans une sorte de course de vitesse de celui qui pourra aider le plus l’Ukraine."
Selon Jean-Pierre Maulny, directeur adjoint de l’IRIS, le but recherché derrière l’envoi de missiles à longue portée est d’amener la Russie à la table des négociations. "Les Occidentaux veulent donner tous les moyens à Zelensky pour que la contre-offensive ukrainienne réussisse", commente-t-il sur le plateau de France 24. "Ils veulent montrer à Poutine que cette aide va se prolonger dans la durée, qu’ils seront un soutien sans faille, et donc que Poutine ne peut pas gagner cette guerre."
Les stocks de Scalp de l'armée française sont estimés à environ 400, ou un peu moins, selon différentes sources. Le prix unitaire s'élève à 850 000 euros, selon l'Institut français des relations internationales (Ifri). Le nombre de missiles livrés à l’Ukraine n’a pas été précisé, mais Paris parle d’une quantité significative qui préserverait les stocks nécessaires à la défense française.
De son côté, le Kremlin a dénoncé une "erreur" et affirmé que la Russie allait devoir prendre des "contre-mesures" dans le conflit en Ukraine.
Le résumé de la semaineFrance 24 vous propose de revenir sur les actualités qui ont marqué la semaine
Je m'abonne